ENZYMES CORRECTIVES et / ou ADDITIVES EN BOULANGERIE
1ERE INFORMATION PRELIMINAIRE.
0.1. Interrogation sur l'enzyme
L'enzyme ?
Ces premier et troisième chapitres du dossier sont là pour que le point d'interrogation derrière le mot enzyme, ne reste pas indéfiniment une énigme pour le boulanger.
Commençons par une histoire un peu «crue». Un reporter / explorateur, connaissance de jeunesse, est spécialiste de l'Amazonie. Lors d'accueils qu'il reçut dans des tribus ne voyant pratiquement pas de «gringos», il vit à l'entrée du village, une vieille indienne qui mâchait un aliment et qui crachait le résultat de sa mastication dans un bol. Bol que, juste après, il du boire en symbolique d'accueil. En fait, la «boisson amazonienne» est une espèce de pré - digestion de l'aliment mâché [1]. Notre appareil digestif est l'endroit où chez l'humain, les enzymes sont le plus présents. Ici dans notre exemple précité, la digestion commençait à peine avec les enzymes existants dans la salive.
Elle se poursuivra dans le parcours de l'aliment tout le long de l'appareil digestif.
L'enzyme présent dans la salive sera d'abord appelé «ptyaline» [2], ensuite elle sera classée parmi les amylases (c.à.d. ; enzymes qui dégradent l'amidon) dites salivaires.
0.2. La viande qui s'attendrit.
D'autres vécus où apparaît le travail des enzymes, c'est par exemple les diverses transformations de la viande. Servie dès l'abatage elle est coriace, il faut attendre une certaine maturité (au moins 1 jour) pour qu'elle soit plus tendre. Cet attendrissement se réalise grâce aux enzymes protéases (celles qui dégradent les protéines). Plus loin en durée et en lieu, dans l'Asie du Sud - Est, le poisson peut se dégrader tellement grâce aux enzymes que l'on obtient la forme liquide de sauce [3].
0.3.Dégradation
de l'amidon en glucose
Voici représenté des granules
d'amidon de farine de blé.
Pour la
compréhension c'est schématisé assez fort.
Puis agrandissons à la loupe pour
nous aider à comprendre.
On obtient une granule
qui est composée (toujours aussi schématiquement) des chaînes d'amidon
Ces chaînes d'amidon
sont composées de molécules de glucoses accolées une à l'autre.
Chaque petit rond
orange représente une molécule de glucose. Celles-ci sont encore raccordées
entre elles.
En reprenant ce schéma ci-contre, représentant l'amidon, qui est présent dans la farine. On aperçoit distinctement avec ses ramifications (ou branchements), l'amylopectine, majoritaire (± 70%) dans l'amidon.
Les ± 30% restant sont en ligne, se dénomme l'amylose de l'amidon.
Maintenant, il n'y a pas que les glucides (nom général
des sucres, dits aussi hydrates de carbone). Il y a aussi les protides (ou
protéines) et les lipides (ou graisses) dans les 3 apports primordiaux au
niveau nutrition humaine. Eux aussi
(les protides et les lipides) devront se dégrader ou se fractionner en petites
unités pour passer du statut d'aliment à nutriment.
0.4. Le taux de glucose sanguin
et non le taux d'amidon sanguin
Le monde vivant (genre animal et végétal) doit pour se nourrir et croître, dégrader enzymatiquement ou couper dans sa plus petite taille moléculaire, les aliments pour que ceux-ci deviennent des nutriments.
Un des exemples le plus simple parce que souvent cité est, l'amidon. Il est composé de centaine à des milliers de molécules de glucose accolées une à l'autre.
Pour l'humain, il ne va pas être possible de digérer une si grande chaîne de molécules de glucose qu'est le granule d'amidon.
Il faut que dans notre appareil digestif, cette chaîne de molécules de glucose accolées l'un à l'autre, soit petit à petit dégradée et qu'ainsi, ce soit molécule de glucose par molécule de glucose qui «entre» dans le sang et nous fournissent l'énergie [4].
Voilà pourquoi l'on parle de taux de glucose sanguin et pas de taux d'amidon sanguin.
0.5. Le sucre rapide et sucre lent
On parlera aussi de sucre lent et sucre rapide. Le sucre lent est généralement représenté par le pain et les pâtes contenant très peu de sucres rapides (1 à 2%) et beaucoup d'amidon. Comme cet amidon (réserve de centaines voire de milliers de molécules de glucose) se dégradera progressivement, il va fournir de l'énergie (ou du sucre) tout le temps de cette dégradation en molécules simples (du glucose), pendant plusieurs heures.
Le sucre rapide (le morceau de sucre ou le sucre dans les sodas) ne sont composés que de 2 molécules de glucose (ou d'autres sucres simples). Il est évident que ces 2 molécules se dégraderont plus rapidement et de ce fait seront plus vite assimilées en termes d'énergie transmise à notre corps, d'où l'appellation ; sucre rapide.
0.6.
Caricature de l'enzyme
On va continuer toujours avec des schémas, pour proposer des images à la compréhension des enzymes
Revoilà nos chaînes d'amidon dessinées ici en plus petit. Dans ce dessin ci-dessus extrait de RAWN [5], les enzymes sont représentées en espèces de gros globules [6] et l'on remarque également une double membrane qui figure les parois cellulaires de la levure. Comme pour l'humain, la levure (agent de la fermentation panaire) doit couper en petits morceaux la chaîne d'amidon, puisqu'elle ne sait faire entrer à travers sa paroi qu'une ou deux molécules à la fois.
Reprenons la loupe pour définir l'action
On va changer notre caricature de l'enzyme pour reprendre une qui sera notre image (un peu flamme) de l'enzyme.
Ce remplacement des symboles se justifie d'autant plus que les nombreux enzymes que l'on représente souvent en terme de ciseaux n'ont pas tous comme fonction de couper (ou dégrader) une grande chaîne de molécules en petites portions. Nous aurons après l'occasion de parler de ces autres fonctions
0.7.
L'enzyme est structuré de protéines
Les enzymes ont dans leur composition essentiellement de protéines. A la différence des glucides (sucres) qui fournissent le combustible-énergie, ne détermine-t-on pas l'apport des protéines au niveau nutritif, comme les «briques» ou bâtisseurs de notre corps. Les protéines qui composent l'enzyme native du blé ont comme spécificité de provenir des protéines solubles dites parfois protéines pour le métabolisme de la graine généralement impliquées dans le développement du grain et sa germination [7].
Point un peu plus difficile à comprendre, parce que pas toujours ou complètement explicable, l'enzyme sera codé (ou commandé) par les gènes (qui sont aussi composé principalement de protéines). C'est l' «ADN» de l'humain qui commande les enzymes de notre corps et c'est ces mêmes gènes de la plante qui vont enclencher les processus enzymatiques pour la germination.
0.8.
La serrure et la clé (le site actif)
Pour toutes ces transformations, l'enzyme agit comme une serrure recevant une clé, le substrat. La molécule enzymatique possède une zone bien précise (dite le -site actif-) dans laquelle vient s'emboîter le substrat. Cette découverte nous la devons à Emil FISCHER [8] et cela très tôt dans l'histoire, c'était en 1894. Depuis ce concept (serrure/clé) n'a que très peu évolué [9].
Prenons le cas (schématisé toujours) d'une molécule de substrat quelconque et de l'enzyme.
A l'endroit de rencontre, (dit ; le site actif) entre l'enzyme et la molécule, la fixation n'est possible que si cela correspond parfaitement ou très spécifiquement, comme un puzzle. Alors l'opération enzymatique peut se réaliser, comme ici dans notre exemple ci dessous, la molécule va se scinder en trois parties.
Et ainsi de suite, pour les molécules plus petites, pentosanase pour pentosane, maltase pour maltose. Et toujours plus détaillé lorsque l'on arrive à retirer à la molécule, un atome d'hydrogène c'est une déshydrogénase ou à faire muter un atome, dans la molécule, ce sera une mutase.
0.9.
Les co-enzymes
Parfois pour que tout corresponde bien entre la serrure/enzyme et la clé/substrat, il faut qu'à la serrure s'ajoute un élément qui sera appelé co-enzyme (en bleu sur le schéma). C'est souvent des éléments minéraux
0.10.
Les inhibiteurs d'enzymes
A l'inverse et toujours avec l'exemple de la serrure/enzyme et la clé/substrat, à la place d'un élément qui aide à la complémentarité, c'est un élément qui empêche celle-ci. Un inhibiteur d'enzymes (en vert sur le schéma) qui empêche l'action de s'opérer comme il se doit.
On est parti du granule d'amidon et on n'a pas arrêté d'agrandir notre champ de vision pour comprendre comment dans l'infiniment petit, une opération de dégradation se succède à une autre. C'est une cascade de dégradation enzymatique comme un jeu de domino, pour reprendre encore une formule imagée que nous devons comme les trois précédentes à des auteurs allemands spécialisés dans le soin de santé par les enzymes [10].
0.12. La température;
Le 1er paramètre influant pour
l'enzyme
Toute cette «machinerie biologique» ira plus ou moins vite, suivant que les conditions sont optimales ou que l'on s'éloigne de celles-ci vers le haut ou vers le bas de ce point optimal.
Quelles sont ces conditions ?
En premier, il faut citer la température.
Suivront les niveaux d'acidité, de pression osmotique (par exemple ; perte de disponibilité d'eau par l'ajout de sel), la présence ou pas de co-enzymes ou d'inhibiteurs d'enzymes.
Pour la température, il faut faire le lien avec la fièvre que l'on prend en cas de suspicion de maladie. Arrivé à 40°C l'alerte, voir la panique s'installe, la molécule protéique qu'est l'enzyme du corps humain ne résiste pas souvent à de hautes températures, elle se transforme dans sa structure pour devenir inactive. Une manière simple de comprendre ce changement de structure est d'observer la cuisson d'un blanc d'œuf composé essentiellement de protéines. [11]
Quand l'activité enzymatique est inopérante, c'est la vie qui est menacée.
Dans la panification qui nous préoccupe, la température ne sera pas seulement celle prise à la fermentation, mais concerne aussi (voir surtout) le début de la cuisson. En effet la température d'activité optimale des enzymes natives en panification est souvent à des degrés supérieurs (50 à 55°C) à ce que la pâte vit en fermentation (au maximum vers les 30°C, généralement 25°C). Le début de cuisson sera souvent l'instant d'hyper-activité enzymatique pour cette raison. L'instant sera court puisque la désactivation (60 à 70°C) n'est pas loin en temps de cet optimal. La texture se fige dans la pâte avec la gélification de l'amidon (70°C) et la coagulation des protéines (80°C). Pendant quelques petites minutes, les amylases pourront encore dégrader l'amidon gélifié, par exemple.
0.13.
L'acidité ; 2ème paramètre influant
Le niveau d'acidité du milieu, souvent mesuré rapidement au pH, va lui aussi accélérer ou ralentir l'action de l'enzyme. Ici ce sera la fermentation qui influencera par sa durée et surtout par ses différents ensemencements (fermentation levain ; pH 4 à 4,5, fermentation levure ; pH vers 5,5). Chaque milieu aura pour cette raison ses propres microorganismes et enzymes. Plus on sera acide ou vers le basique vis-à-vis de l'optimal d'activité de l'enzyme, plus l'efficacité de la réaction qu'elle engendre se réduira. Généralement l'acidification a été de tout temps utilisée dans la conservation des aliments, puisqu'elle va jusqu'à inhiber l'activité des ferments en général. Le levain de panification utilise d'ailleurs à certains moments de sa préparation cet effet conservateur grâce à la lactofermentation qui s'acidifie plus fortement dans ce bout de pâte qu'est le levain-chef.
0.14.
La pression osmotique; 3ème paramètre influant
On sait aussi conserver certaines denrées par le sel (salaisons) et le sucre (fruits confits), il s'agit ici de la pression osmotique. Le jambon subissant des salages successifs voit se réduire au minimum l'activité enzymatique, cela devient de l'«affinage» se réalisant par ce que l'on nomme parfois un peu pompeusement ; phénomène «d'osmose».
L'imprégnation progressive du sucre dans le fruit que l'on va confire, va inhiber toutes activités et c'est pour les mêmes raisons qu'un pain d'épices ou le miel liquéfié remplace l'eau ne sait pas subir de fermentations comme le pain. Ce sont généralement des éléments minéraux qui agissent sur la pression osmotique. Voici comment la levure de la fermentation panaire vit cette pression osmotique.
Dans le troisième dessin de ce dernier schéma, il est clair que la levure se «recroqueville sur elle-même» et extrait d'elle l'eau pour rendre son environnement supportable. Vu la situation, elle vit fort au ralenti. Les enzymes suivront les mêmes réactions en fonction de la pression des éléments minéraux et suite à ce manque de disponibilité de l'eau. Celle-ci, nécessaire à une bonne activité enzymatique, est souvent évaluée par l'Aw. [12].
0.15.
L'inhibiteur d'enzyme, autre paramètre influant
Derniers facteurs influents sur le milieu où l'enzyme s'exprime, la présence de co-enzymes. Ils sont moins inusables que les enzymes, puisqu'ils ne sont pas inépuisables.
Nous allons les aborder au chapitre 1.5. qui suit.
L'inhibition d'enzymes, se comprend simplement. Dans la nature, le grain de blé pour devenir plante doit pouvoir se défendre afin que la réserve de nutriments qu'il contient en son sein serve uniquement à l'enclenchement de sa propre germination. Ainsi les amylases ne provenant pas de la plante (par exemple de microorganismes et de prédateurs primaires (charançons et mites), ont a faire face à ce système de défense des plantes.
Le grain doit pouvoir se défendre afin de donner une plantule puis l'épi.
Ces éléments bloqueurs d'activité des enzymes sont composés de protéines de blé (de même origine que les enzymes). Ils «possèdent un pouvoir inhibiteur vis-à-vis des α-amylases ne provenant pas de la plante» [13].
Cette «action anti α-amylasique s'exerce contre les amylases salivaires, pancréatiques et bactérienne, ainsi que celle de divers insectes» (par exemple les coléoptères ; -charançons du grain- et lépidoptères -par exemple ; mites de la farine-) [14].
L'action des inhibiteurs d'enzymes «correspond sans doute à un rôle de défense de la plante contre les insectes» [15]. Ils ne seraient pas trop préoccupants dans la panification pour autant que celle-ci opère une bonne fermentation qui ferait perdre leur défense inhibitrice au produit venant du grain de blé. [16]
Dans les conditions de fermentation, en général, la force de désactivation des inhibiteurs d'enzymes décroît très vite et inversement la force d'activation des enzymes va croître.
[1] D'autres boissons traditionnelles de
peuplades sont connues. Citons le nijimanche des indiens Jivaros qui est
proche. Il résulte de la mastication de racines de yucca entreposé dans de
grandes jarres pendant 4 à 5 jours.
[2] Ptyaline, provient du grec salive et/ou crachat, avec la terminaison scientifique en «…ine» attribuées aux premières enzymes décrits par les scientifiques.
[3] Les différentes sources de ces
définitions de transformations enzymatiques sont retirées du A.OUALI, p.78 à 81
et de P.ROY, p.99 à 101 (voir les références entières en bibliographie).
[4] Un humain au repos consomme environ 10
grammes de glucose à l'heure (M.APFELBAUM, p.309)
[5] D.RAWN, Traité de biochimie, 1990, p.924
[6] Même
si par facilité schématique, nous les représenteront plus petites, les enzymes
sont de grosses molécules, bien plus grandes que le substrat qu'elles
catalysent.
[7] Yves DACOSTA, 1986, p.5 & 6. Un classement fonctionnel des protéines du grain de blé a été repris par Y.DACOSTA. Dans sa recherche bibliographique sur le gluten, le consultant différencie protéines de structure, protéines à activité métaboliques (15 à 20%) et enfin les protéine de stockage (dite parfois protéines de réserve et insolubles (= le gluten) étant dans le blé actuel majoritaire (80 à 85%).
[8] La
description du travail d'Emil
FISCHER est repris en note dans le chapitre suivant ; «Histoire de
l'enzymologie» et surtout page suivante.
[9] Ce
modèle (serrure/clé) pourrait laisser penser que molécule et enzymes sont
rigides. En 1958 l'américain Daniel KOSHLAND expliquera que le site actif ou
correspondent enzyme et substrat a plutôt la souplesse d'un gant (enzyme) dans
le lequel entre la main (substrat). C'est «l'ajustement induit» bien expliqué
en animation sur cette adresse
de l'université de Provence.
[10] Sven NEU & Karl RANSBERGER, Les enzymes santé, 1992.
[11] C'est un peu anecdotique,
mais en allemand, les protéines sont souvent dénommées
« Eiweiβ» ; soit littéralement «blanc d'œuf». Ce qui conduit à des erreurs
d'interprétation qui traduisent
«protéines - Eiweiβ »
en albumines, et ce dernier terme n'est pas une dénomination générique
comme devrait l'être le mot «protéine».
[12] L'activité de l'eau, la «water activity» en anglais donne ce symbole Aw . C'est la présence nécessaire d'humidité (ou eau) pour que la vie s'engendre. Par exemple pour la conservation du grain de blé, on essaye de réduire le plus possible la teneur en humidité pour éviter que cette denrée ne se détériore par les microorganismes ou insectes qui eux ont besoin de cette teneur en eau. J.ADRIAN et A.POIFFAIT écrivent, p.5 que l'activité exige une humidité minimale se traduisant par un Aw égale ou supérieur à 0,35.
[13] Yves DACOSTA, p. 30.
[14] P.VALDEBOUZE & D.TOME, 1984, p. 364 à 368.
[15] Yves DACOSTA, p. 30.
[16] Edward HOWEL, La diététique des
enzymes, 1986, consacre 9 pages aux inhibiteurs d'enzymes (p.127 à 136) et
donne un tableau d'une enquête sur la germination des laitues de l'Université
hébraïque d'Israël réalisée en 1968 par SHAIN & MEYER, publié dans la revue
Phytochimie retravaillé ici en
graphique sur la durée de 24 heures.
Auteur : DEWALQUE Marc, BoulangerieNet.
Janvier 2012