Eh, oui ! Autrefois, il arrivait qu’on collait les papiers peints aux murs à l’aide de farine. Les allemands appellent des fois le gluten ; « Kleberstoffe », ce qui traduit textuellement veut dire ; substance collante. Et pour rester dans la linguistique, c’est du latin « colle » que provient le mot gluten. Ce n’est que dans le froment qu’on sait l’extraire par lixiviation (lavage de la pâte sous un filet d’eau), comme l’a fait dès 1745, le médecin de Bologne ( I ), Jacopo Beccari 4. Pour nous boulanger, c’est cette matière viscoélastique qui donne un « nerf » ou une consistance à la pâte, le pâton ne s’affaisse pas et permet de présenter une mie bien développée. Les bulles de gaz carbonique issues de la fermentation de la pâte pourront restées prisonnières de cette structure mi-solide mi-liquide et ne pas éclater grâce à l’élasticité du milieu pâteux qui l’entourent.

En général, le gluten, issus du collectif des gliadines et gluténines, recouvre ±85% des protéines 5 du froment panifiable, qui elles représentent environ 10 à 12 % de celui-ci , soit sur 1 kilo de farine, 85 à 100 grammes 6. Les ±15% restants des protéines du froment sont dites « solubles » dans l’eau. Ces protéines, appelées albumines 7 et globulines, sont notamment les composantes des enzymes et sont dites biologiquement fonctionnelle. Ces protéines solubles 8 ont une meilleure valeur nutritionnelle que les protéines non solubles qui constituent le gluten.

Fig.1.P CHAINE D’ACIDES AMINES :
Formant - /soit une protéine lorsque l’on dépasse une dizaine
-/ soit un peptide lorsque l’on ne compte que quelques-uns



Classement
d’après
OSBORNE
Tab 1. CLASSEMENT DES PROTEINES DU FROMENT
Protéines solubles
Protéines insolubles
Non protéine
Albumines
Globulines
Gliadines
Gluténines
Solubilité
dans l’eau
dans l’eau salée
dans l’éthanol aqueux
dans solutions acides ou basiques
% dans protéines blé
15 à 20 %
35 %
45 %
Fonction naturelle
Protéines pour le métabolisme de la graine
Protéines de réserve (pour la future plante)
Poids moléculaire
Voir note 9
+/- 5.000 à 90.000 daltons
+/- 25.000 à 75.000 daltons
+/- 100.000 à plusieurs millions daltons
Teneur en LYS
4,2
7,5
1,7
3,1
Teneur en THR
3,8
4,2
0,4
3,3
D’après nouveau classement
 
Gliadine > Prolamine pauvre en Souffre
Et gliadine Gluténine à FPM* > Prolamine riches en Soufre
Gluténine à HPM** > Prolamine à HPM
Les teneurs en LYS (lysine) et THR (thréonine) indique une certaine valeur alimentaire dans le sens ou ce sont ces deux acides aminés essentiels qui agissent sur le facteur limitant l’assimilation des autres. Ce sont respectivement les facteurs limitant primaire et secondaire. (voir tableau 3 pour de plus amples explications des principes ; acides aminés essentiels et facteur limitant )
* FPM = Faible Poids Moléculaire ** HPM = Haut Poids moléculaire (voir note 11 pour les sources et de plus amples explications)

Il faut bien dire que si on ne peut contester que le gluten revêt une qualité technologique, sa proportion en quantité n’est pas toujours un critère fiable. Il faut la quantité mais aussi la qualité 9 . C’est pourquoi les recherches se sont affinées en ciblant, le rapport gliadine / gluténine 10 , puis la teneur en gluténines « insolubles » à haut poids molP éculaires 11 , mais sans résultat vraiment probant du moins pour déterminer quel type précis de protéines apportait l’élasticité. Les interactions avec les autres protéines (celles qui contiennent plus d’acides aminés soufrés 12 ), avec les lipides et les pentosanes 13 , orientent aussi la recherche vers la présence nécessaire d’un ensemble, plutôt que la « préciosité » d’une protéine bien spécifique. A ce niveau, la recherche …cherche encore. 14

Dans ce flou, le choix variétale du semis est l’indicateur le plus sûr de la qualité technologique et de la présence du gluten dans la farine de froment, déclarée alors; panifiable . 15 La culture peut influer aussi. Par exemple; si c’est du froment de printemps, il contient plus facilement du gluten que le froment d’hiver 16 , si la méthode de culture est bien adapté à la variété 17 , si la région est bien appropriée à la variété 18 et encore si la saison a été propice au bon moment. 19 Après le constat de l’état de la récolte, le meunier apportera son professionnalisme par le mélange de variétés en recherchant la complémentarité entre elles 20

Qu’est ce que ce blé tendre ou froment panifiable qui est « hard » ?
Parfois les boulangers ne savent pas que leur blé est tendre ! C’est simplement parce qu’il existe le blé dur. Ce blé dur est employé pour la pastification (fabrication de spaghetti, macaroni, ravioli, etc…). Le blé tendre en français et en France c’est le froment panifiable. Mais attention ! dans d’autres langues (en anglais et en allemand), ce même blé tendre est dit soit hard/hart (dur) 21 ou soft/weich (tendre). En fait c’est la résistance à la mouture, corollaire à la teneur en gluten qui est forte (hard) ou faible (soft) 22 et permet de classer les froments aux Etats-Unis, au Canada et en Australie. La classification commerciale américaine du blé tendre risque fort de se standardiser vu les réponses que le marché français doit donner à la mondialisation du marché qu’il l’intéresse fortement (50% du froment français est exporté). En tout cas la conduite d’une classification commerciale s’oppose en termes linguistique à une classification qui se voudrait claire au niveau scientifique. Distinguer bien les deux types de classement si par hasard vous avez envie de vous y retrouver. C’est pourquoi, il est peut-être nécessaire de faire un tableau, comparant blé tendre & blé dur.
Tab.2. Comparaison : blé tendre / blé dur
Triticum Common
où Aestivum
à valeur meunière
Triticum Turgidum
Durum
à valeur semoulière
Blé tendre (F)
Froment (F)
Blé dur (F)
Bread Wheat (USA)
Hard Red Winter Wheat
Hard Red Spring Wheat
Hard = résistant
Soft = friable
Spring= de primtemps
Winter = d’hiver
Red = rouge
Exprimé en initiales, soit HRS ou HRW + des grades de 1 à 5
Macaroni Wheat(USA)

Durum Wheat
Hard Amber Durum
=Blé dur ambré & résistant.
Amber Durum
= Blé dur ambré
Weichweizen (D)
Harterweichweizen (D)
= Blé tendre résistant
Hartweizen (D)
Durumweizen (D)



4 O.DARDE, p. 4. L’extraction du gluten est un exercice que je manque rarement d’expliquer aux stagiaires. Comme le gluten est la fraction insoluble dans l’eau, on mélange de manière assez ferme 100 gr. de farine et _ dl. d’eau dans un plat, on peut finir la pâte à la main et arrêté quand elle n’adhère plus à la paume. Après on la passe sous un filet d’eau froide en la comprimant légèrement entre les doigts, avec un tamis recueillant le gluten qui se soude à lui-même par le malaxagP e, le plat en desous du tamis recueillant l’eau et l’amidon. Mélangez encore dans le tamis pour extraire tout à fait l’amidon du gluten, et vous aurez au bout de cette simple expérience une substance grisâtre et glutineuse.

5 L’azote (N) est une composante de l’air pour 4/5. Sous sa forme minérale on en trouve dans l’engrais nitraté (NO3). Sous sa forme végétale, on l’appellera protéines lorsque les acides aminés sont liés en une longue chaîne. Di - Tri ou Poly-peptides (ou peptides tout court), lorsque 2 , 3 ou plusieurs acides aminés les composent. L’acide aminé est la forme qui permet d’être digéré comme nutriment.

6 Jean BURE, p.15.

7 Attention au traduction de l’allemand vers le français, par exemple dans les livres suisses alémaniques, ou trop souvent le mot « Eiwei_ » se traduit par albumine alors qu’il doit être traduit par le mot plus générique de protéines.

8 Le vieux classement de T.B.Osborne ( de 1907 ) qui classe d’après la solubilité, d’abord dans l’eau, puis l’eau salée, dans l’alcool et dans des solutions acides ou basiques. Actuellement le classement de J.M.Field, P.R.Shewry & B.J.Mifflin (de 1983 ) regroupe la plupart des gliadines et certaines gluténines (dites parfois glutélines) à faibles poids moléculaires sous le non de prolamines riches en souffre et le reste des gluténines est appelé prolamines à haut poids moP léculaires. Voir DACOSTA, p. 19 à 21 et le tableau 1 « Classement des protéines du froment »

9 Il est rare qu’une farine panifiable soit composé d’une seule variété. La qualité du gluten d’une variété doit souvent être rectifié par la qualité du gluten d’une autre variété.

10 Dès 1901, FLEURENT étudie ce rapport gliadine / gluténine . Selon lui, le rapport idéal serait de 75 / 25. Un excès de gluténine (rapport 66 / 34) et le pain conserve sa forme arrondie, mais sans augmenter de volume à la cuisson, le pain sera lourd. Un excès de gliadine (rapport 80 /20) donnerait lui aussi des défauts fort semblables. Signalons que la farine contenait à l’époque 7 à 8 % de gluten. Voir L. AMMANN, p. 333 & 334.

11 Les albumines et les globulines ont des poids moléculaires de 5.000 à 90.000 daltons , les alpha- _ - , béta – _ -, gamma- _ - & oméga- _ - gliadines de 25.000 à 75.000, les gluténines 18.000 à plusieurs millions. Voir : MELAS p.3.

12 P.JOUDRIER & coll., p.13, signalent que les PPRC (abrégé de Petites Protéines Riches en Cystéine-acide aminés soufrés) dont les puroindolines, issus des protéines solubles jouent sans doute un rôle déterminant.

13 Y.DACOSTA, consacre les pages 25 à 28 aux interactions entre les protéines , les glucides et les lipides.

14 G.MARTIN, 1994, signale « Malheureusement, il faut reconnaître que nous ne disposons pas encore de moyens d’investigation suffisamment précis pour expliquer la variabilité de la qualité des protéines en fonction de la récolte » P.FEILLET, p.5, écrit « les nombreux modèles qui ont pu être proposés pour expliquer le caractère viscoélastique du gluten demeurent de simples hypothèses de travail dont l’affinement méritera encore de longues études .»

15 G.BRANLARD, 1999, p.5, signalent que pour être inscrites au catalogue, « les variétés atteignant 14 à 15 % de protéines dans les conditions habituelles ne peuvent que difficilement dépasser un rendement en grain de 90% des témoins ». Ce qui implique une compensation financière à l’achat. Les Variétés de froments Recommandés par la Meunerie française (VRM) sont classées en BPF (Blé Panifiable de Force), BPS (Blé Panifiable Supérieur), BPC (Blé Panifiable Courant) et BAU (Blé pour Autres Usages - Fourrager).

16 Les froments canadiens - CWRS ; Canadian Western Red Spring- les plus réputés des froments de force ou froments améliorants, sont des froments de printemps ; Voir le chapitre culture pour approfondissement.

17 Concernant la méthode culturale, voir : G.MARTIN, 1995, p. 15, celui-ci écrit « Il est démontré maintenant que l’expression de la valeur d’utilisaP tion génétiquement programmée d’une variété dépend des conditions de culture ». Propos bien confirmé par Ingo HÄGEL, qui signale « Malheureusement, on constate que les variétés conventionnelles (sélectionnées pour l’agriculture conventionnelle) cultivées en agriculture bio-dynamique ont des teneurs en albumine et globuline encore plus faible que lorsqu’elles sont cultivées en conventionnel avec d’importants apports d’azote ». La déception d’I.Hägel est fondée sur la baisse de la qualité nutritionnelle.

18 Par exemple les variétés de printemps dites de force ( à forte teneur en gluten), Prinqual et Florence-Aurore existant en France, donnent de moins bons résultats au Nord qu’au Sud –Est de la France (provenance de 90% de ce type de collecte de blés de force en France). Principale cause ; une plus grande sensibilité à la germination sur pied et le manque d’ensoleillement.

19 En effet pour chaque stade de la culture du blé, un temps idéal est indiqué mais il n’est pas toujours au rendez-vous au niveau météo. Voir chapitre culture qui détaille cet aspect.

20 Par exemple en rectifiant les défauts de la variété dominante du moment (prenons un cas de figure, Soissons apportant une difficulté de lissage de pâte) en la mélangeant avec d’autres ne comportant pas les mêmes effets techniques.

21 Jean-Paul CHARVET, économiste et spécialiste des céréales écrit, p.15, « Une erreur monumeP ntale, mais qui hélas assez fréquemment commise, y compris dans d’excellents dictionnaires consiste à traduire l’expression anglaise « hard wheat » par blé dur. Blé dur se dit « durum wheat » et, au moins en Amérique du Nord, on distingue des blés durs qui sont plus ou moins « hard » ; « hard amber durum », « amber durum » et « durum » tout court…

22 Claude WILLM dans l’éditorial Résistance ( à l’écrassement ) propose que l’on adopte les termes français que J. ABECASSIS suggère plus loin (p.12). Utilisons ; résistant pour hard et friable pour soft. Qu’on se le dise par toute la France et la Navarre.