Après la Révolution et la disparition des corporations, les anciens droits exigés pour exercer le métier de boulanger sont remplacés par l'imposition de la patente, toujours en vigueur il y a peu de temps.

La profession est encore organisée sous l'égide des pouvoirs publics et quelques électeurs, parmi les sages de la profession, élisent des syndics dont le nombre à Paris passera de 4 en 1801 à 13 en 1863. A cette date une liberté relative est accordée au commerce et la boulangerie en profite pour ajuster ses statuts, lorsque la loi de 1884 sur les syndicats professionnels va permettre, tant du côté patronal que du côté ouvrier et pour Paris comme pour la province, la constitution des syndicats professionnels sous la forme où nous les connaissons aujourd'hui.

Du côté ouvrier, les sociétés de compagnons jouent encore un rôle important durant la première moitié du XIXe siècle, mais avec la promulgation de la loi de 1884 leur influence, déjà en déclin, va décroître rapidement.

Dans le domaine de la formation professionnelle, sans qu'il y ait de règles bien définies, l'apprentissage conserve beaucoup des us et coutumes, qui lui viennent des corporations: il est en moyenne de trois ans et payant dans la plupart des cas. Au début du XXe siècle il deviendra gratuit et, réglementé à partir de 1920 par la loi Astier, il sera de 3 années encore et légèrement rétribué.

Sur le plan technique, l'évolution de la boulangerie, au cours du XIXe siècle sera considérable.La technique du pétrissage à bras va bénéficier d'une légère amélioration qui vaut la peine d'être notée: une nouvelle phase, l'aération et le soufflage de la pâte, vient compléter l'opération et c'est Cadet de Vaux qui en 1806 y insiste pour la première fois.
Mais ce sera surtout le pétrissage mécanique, l'apparition d'une levure de panification, l'amélioration des moyens de cuisson, qui vont marquer la période contemporaine.


Le pétrissage mécanique, au début du XIXe siècle, n'a guère progressé. Le pétrin existe, mais il est encore d'emploi difficile et d'entretien compliqué, il doit être mû à la main ou à l'aide de la force hydraulique ou hippomobile ce qui, dans un milieu strictement artisanal, n'est guère pratique.

De surcroît les consommateurs sont farouchement hostiles au pain fabriqué à la a mécanique ». Cependant les pouvoirs publics encouragent ce mode de pétrissage moins pénible, plus salutaire. En 1838 ils organisent des essais comparatifs entre le pétrissage manuel et le pétrissage mécanique; mais ces essais pâtissent de la partialité des professionnels qui favorisent le pétrissage à la main. Vers 1840 on compte 130 pétrins mécaniques pour tout le pays.

A la fin du XIXe siècle, l'apparition du moteur électrique et, parfois, dans les campagnes, du moteur à essence, va favoriser ce mode de pétrissage. Mais il continue à souffrir de l'hostilité conjuguée des consommateurs et des professionnels.

Les ouvriers surtout qui affirment: a Quand un pétrin rentre par la porte, ce sont deux ouvriers qui sortent par la fenêtre. » En 1908-1909 nouveaux essais comparatifs, dont les résultats sont, cette fois, à l'avantage du pétrin mécanique. On constate, au cours de ces derniers, qu'un ouvrier perd environ 500 g de son poids pour pétrir deux sacs de farine de 110 kg. En 1914, sur 45 000 boulangers, 6 000 sont équipés d'un pétrin mécanique. La guerre de 1914-18 va accélérer le mouvement: quelques années après celle-ci, pratiquement chaque fournil est équipé du sien.

L'emploi de la levure, au début du siècle dernier, continue sous la forme d'une culture d'appoint pour accélérer et augmenter la poussée gazeuse du levain de pâte qui demeure la base de la fermentation. Il faut attendre 1840 pour qu'un officier autrichien du nom de Zang, accompagné d'ouvriers boulangers viennois, vienne à Paris, 92, rue Richelieu, et commence à y fabriquer du pain fermenté uniquement à la levure.

Ce nouveau mode de panification, désigné sous le nom de travail sur poolish, a beaucoup de succès. C'est ainsi qu'apparaît le pain viennois et que commence la fabrication des petits pains de gruau. Toutefois cette fabrication demeure limitée.

Entre-temps une nouvelle levure, la levure de grain, est mise au point au début du XIXe siècle en Hollande et spécialement fabriquée pour la boulangerie. Plus active, plus constante, de saveur agréable et, surtout, de meilleure conservation, elle va faciliter le développement de la panification à la levure. Toutefois la première usine de levure de boulangerie ne verra le jour en France qu'en 1872.

Mais si la fabrication du pain viennois se trouve facilitée, cette production reste limitée aux pains de luxe et son volume est restreint. Là encore, la guerre de 1914-18 va presser le mouvement. Après cette dernière, d'autres modes d'emploi de la levure voient le jour, son utilisation s'étend à tous les types de pain, Paris est conquis et la province, d'abord rétive, de proche en proche, va se laisser gagner.

Durant la même période, l'amélioration des moyens de cuisson suit au même rythme. A partir de 183S la construction de la sole du four en briques réfractaires se généralise. La voûte du four s'abaisse, la fermeture de l'ouverture se perfectionne: des portes à doubles battants remplacent les bouchoirs et, vers la fin du XIXe siècle, on imagine des portes à guillotine munies de contrepoids.

Pratiquement les fours utilisés à la cuisson du pain sont, cependant, chauffés directement par combustion du bois sur la sole: pour Paris jusqu'aux environs de 1900, pour la province jusqu'aux années 1930.


Au début du siècle, le chauffage au bois, à Paris, se perfectionne: le four, sur le devant, est équipé d'un foyer dont les flammes et les gaz chauds se répandent dans la chambre de cuisson, orientés à l'aide d'un brûleur ?le " gueulard "?avant d'être évacués par la cheminée. La présence du foyer allège notablement la peine du boulanger.

L'usage du foyer à bois est cependant limité à Paris et ses alentours, tandis que l'on rencontre parfois aussi, dans les bassins houillers et leurs environs, des foyers appropriés à la combustion du charbon.

Par ailleurs, à partir de 1920, des brûleurs à gaz (là où ce combustible existe) et des brûleurs à mazout, qui chauffent par projection de flammes ~ l'intérieur de la chambre de cuisson, vont faciliter cette opération et se répandre?surtout les seconds?avec rapidité.

Mais ces perfectionnements, s'ils facilitent l'emploi de l'outil, ne modifient pas sa conception: c'est le four à chauffage direct et à cuisson intermittente, le four gréco-romain, qui jusqu'en 1910 continue à cuire, en France, le pain dans sa totalité. Cependant, après bien des tâtonnements, c'est l'époque où commencent à apparaître les fours à chauffage indirect.

Ici, la source de chaleur est extérieure à la chambre de cuisson et l'utilisation de celle-ci continue. Ils sont chauffés soit à l'aide de l'air chaud, ce sont les fours aérothermes, soit à l'aide de tubes à vapeur, ce sont les fours à vapeur: les seconds, en ces débuts, sont les mieux appropriés.

Ils sont chauffés au charbon ou au coke. Plus tard, ils le seront aussi au gaz et au mazout.

Mais jusqu'en 1920, ils ne seront construits qu'à quelques exemplaires. Ce n'est qu'ensuite que leur succès s'affirmera dans les boulangeries où la fabrication est importante et composée de petites pièces.

Dans le domaine des accessoires, les fours seront, durant la deuxième partie du XIXe siècle, de plus en plus équipés d'appareils à produire de la vapeur d'eau ?de la buée?dont la présence, au début de la cuisson, facilite le développement des pâtons et permet de donner au pain cuit de la sorte la coloration jaune dorée qui nous est aujourd'hui familière, alors qu'en son absence le pain, extérieurement, demeure gris et mat.

Durant toute la période contemporaine, sauf pendant les périodes de restrictions, le pain est confectionné avec de la farine blanche et tous autant dans les villes que dans les campagnes où les sons et les remoulages sont précieusement utilisé à la nourriture des animaux.

Quant à la forme des pains, durant cette même période, elle évoluera peu. En province, dans la plupart de nos campagnes, on confectionne des pains ronds, les gros pesant 10 livres, les petits 5 livres.

Au nord et à l'est de la région parisienne, parfois aussi à l'ouest, on rencontre des pains de forme allongée de 4 et 6 livres. Dans la capitale et les environs, le gros pain est couramment de 4 livres, alors que les pains fantaisie de deux et d'une livre deviennent de plus en plus longs.

Par ailleurs la fabrication des petits pains viennois et de gruau connaît beaucoup de succès, tandis que croissants et brioches ont également la faveur des consommateurs aisés et jouissent d'une réputation mondiale.

Que devient entre-temps la fabrication du pain de ménage ? Dans les villes et les gros bourgs elle ne subsiste guère après la Révolution française, mais dans les petits villages, dans les fermes isolées, surtout dans les régions pauvres ou riches en cours d'eau et en petits moulins, elle persistera tout le XIXe siècle et jusqu'à la guerre de 1914-18.

De même, dans les régions à seigle, on continuera à consommer le pain de méteil?moitié froment, moitié seigle ?ou le pain de seigle. Des foyers perpétueront, çà et là, cette tradition qui s'éteindra autour des années 1930 pour reparaître, dans bien des cas, au cours des années de guerre et de privations, entre 1939 et 1947. Tant qu'elle a duré, cette fabrication a été assurée par ensemencement au levain de pâte et le levain-chef était cédé, conservé dans des pots en grès, d'un ménage à l'autre.

Ainsi, à travers les siècles, par la parole et l'exemple conjugués, s'était propagée une panification méthodique, aux étapes bien déterminées, où la précision se confondait avec le rite, pour atteindre à une production d'une exceptionnelle qualité.