Les noirs et les blancs (1ere partie)

L'actualité autour de la boulangerie pâtisserie.
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Marc
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sept. 2006
mercredi
20
12:19

Ce n’est pas une histoire « touche pas à mon pote » que l’on vous propose.
C’est une histoire vieille de sept siècles ; celles des pains noirs et des pains blancs.
Au début, il n’y avait que les noirs, c’est après avoir fait passer la farine  par de tous petits trous de tamis qu’sont apparus les blancs.
A partir de là, tout c’est compliqué.
Vous comprenez bien, pour le même nombre de grains, il pouvait y avoir 2 noirs pour 1 blanc ou plus loin dans l’histoire, au mieux 3 noirs pour 2 blancs .
Cela c’est déjà une première inégalité.
Deuxième inégalité, le blanc plait plus que le noir !
Dès lors est-ce match nul ?
Peut-on vraiment comparer ces deux valeurs ?

A l’âge très moyen de notre histoire, lorsque la vie d’ermite tente quelques hommes de foi, on établit une règle de vie, où figure cette mention « Fuyez le pain blanc ».
Les disettes de cette époque conduisent vers le noir, puisqu le blanc n’était pas  « permis par la police, à cause qu’il est de mauvais ménage, s’y dépensant de trop». En clair un pain qui est trop bon fait puiser de trop dans les réserves de grain qui sont déjà faible, mais surtout, s’il manque du grain pour tenir d’une récolte à l’autre, il vaut mieux des noirs puisqu’on en a plus, comme nous l’avons vu.
Le blanc, c’est le riche, le nanti.
Le noir, c’est plus l’ordinaire des temps difficiles, la misère des mauvaises années.
Les deux couleurs prennent place en politique (dans le sens grec du terme).

La personne qui tient les commandes pour que le grain donne soit de la farine et du pain noir ou blanc, est dans l’histoire, d’abord le boulanger qui portait d’ailleurs un autre nom à cette époque pour cette raison « les tameliers », après ce sera les meuniers qui reprendront ce rôle.
L’évolution historique de la meunerie est fort contrariée par le droit de la banalité qui faisait l’obligation de moudre dans le moulin régional moyennant perception d’impôt sous forme de valeur en nature. Pour faire une farine blanche, on déjetait la moitié du grain qui servait à nourrir des animaux (souvent des porcs). Il faudra la famine de 1740 pour que les meuniers puissent repasser le sons sous la meule et en extraire plus de farine. Avant cela, la repassage du son en mouture était interdit pour éviter les fraudes sur la qualité.
Mais quelle mauvaise réputation on lui donne à ce meunier !
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Une visite de la tradition orale nous apprend qu’en Allemagne on dit « qu’il y a toujours un tas de sable près des moulins » (on imagine aisément la fraude) . En Wallonie, on prétend que celui qui « fait ses Pâques (va confesser tous ses pêchés pour pouvoir participer à la fête de la résurrection) avec le meunier », diffère sa confession le plus longtemps possible, puisque paraît-il le meunier avait tellement de péchés à confesser, qu’il passait en dernier .  
Avant une autre grande fête du calendrier, le meunier avait beaucoup de travail, c’est à la Noël. On prétendait que les jours précédents la fête le grain donnait plus de farine  où donnait une farine plus saine et nutritive .  De plus, on tamisait la fariner pour la fête, on voulait de la « fleur de farine ». Le proverbe wallon qui dit « A la Saint Thomas –le 21 décembre- blute –tamise- ce tu as »  précise l’empressement général et l’occupation extraordinaire des meuniers à cette époque de l’année.

Mais dans le parcours historique, voilà venir la révolution, pas celle de 1789, mais bien l’industrielle.  Au diable les meuniers, vive les grands minotiers. Plusieurs transformations vont secouer les moulins, d’abord on utilise le moteur à vapeur pour faire tourner le meules et tous les autres mécanismes (la bluterie notamment), la dépendance aux conditions climatiques est terminée, on utilise des cylindres métalliques cannelés et lisses en lieu et place des pierres meulières. Le premier moulin à cylindres est suisse ( le Sulzberger), il a du fait de son indépendance de force motrice la capacité de moudre tous les grains récoltés en Suisse sur une année. Il peut donc « écraser » la concurrence des petits moulins de fond de vallée ou de plateaux venteux. Les expositions universelles de la fin du XIXème sc. font l’étalage des innovations industrielles et comme ce sont les austro-hongrois qui de part leur capacité de récolte et d’utilisation de moulins à cylindres sont les premiers sur le marché, on appellera d’abord cette mouture la « mouture hongroise » et c’est également l’heure où s’introduisent sur le marché de Paris, les « viennoiseries », quelle blancheur !, quel prestige !
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Les américains découvrirent les moulins à cylindres à l’exposition universelle de Vienne en 1873, ils mécanisent déjà plus que d’autres les travaux agricoles, ils incorporent cette évolution en construisant des moulins à capacité parfois phénoménale pour l’époque.
L’envie de pain blanc qui est réelle et qui est le signe de réussite sociale se concrétisa bien plus grâce à ce type de mouture sur cylindres. Les petits meuniers de commerce local et en circuit court ne résistent pas facilement sur le marché. « J’ai fermé le moulin, à cause des minoteries. A ce moment là, le pain n’était pas blanc, il était gris et les gens n’en ont plus voulu ». En effet la mouture sur meule broye le grain intimement d’où trace de son dans la farine.  Tandis que la mouture sur cylindres sépare d’abord le son du grain avant de moudre.
Nous verrons la suite de cette histoire des noirs et des blancs mais moins au niveau économique et plus sous les aspects nutritifs, la semaine prochaine et nous serons probablement un peu moins spectateurs de l’histoire et plus avec la possibilité d’être acteurs.

Sources:
 Histoire du pain , H.E.Jacob, éd. Seuil 1958

 Dictionnaire des spots et proverbes wallons,  Dejardin, éd. SLW 1863

 Traditions de Wallonie, J.Lefevre, éd. Marabout, 1977

 Les Mangeurs de Rouergue, A.Merlier & A.-J. Beaujon, éd. Duculot, 1978
Bon pain
Marc
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Nicoulou
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sept. 2006
mercredi
20
20:55

je vois que tu as de bonnes lectures...
j´ai une version en portuguais de l´ouvrage de Jacob, très complet.
avec Kaplan, c´est mon préfèré.
je cherche actuellement les ouvrages historiques en relation avec le
Portugal et l´arrivée des boulangers européens au nouveau monde
(amérique du nord et du sud).
aurais-tu quelque(s)-chose(s) a me conseiller??
ou talvez, senhor Picola???
:Salut  :Salut  :Salut
pour ajouter a ton post, une citation de Malouin:
"la première étape de la panification, c´est la mouture!"

merci pour cette version wallonisée de l´histoire de la boulangerie...
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Marc
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sept. 2006
jeudi
21
15:26

On en parlera probablement en décembre ou janvier, et on regardera ensemble. :Salut
Bon pain
Marc
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