

Pour les céréales, et pour le blé tendre, la saison de la récolte 2023 - 2024 n’a pas été bonne au niveau quantitatif et qualitatif.
Avec le seigle, c’est encore pire surtout dans la région ou la pluviométrie a été abondante.
C’est ce climat humide qui est propice aux maladies cryptogamiques, procurant champignons et mycotoxines, et donc pour le seigle, une présence potentiellement fréquente d’ergot.
On le voit par ces deux photos prises lors de récoltes récentes (en haut le seigle et en bas le blé tendre ou froment) - (1).

Dès le Xe siècle en France, dans le Limousin, l’on trouve la trace qui marque le plus la mémoire collective. À l’époque on l’appellera le «mal des ardents» ou le «feu de Saint-Antoine» du fait que les personnes atteintes se plaignent qu’un feu interne les rongent (2). La consommation pendant quelques jours de farine infestée de 3 à 10 % d’ergot peut donner deux types de symptômes, soit gangréneuse (jusqu’à la perte de membres), soit convulsif avec hallucinations.
Toutefois, des substances de sclérotes de l’ergot de seigle en faibles quantités sont utilisées très tôt en médecine savante en Chine et aussi en Allemagne où l’ergot est connu sous le nom de Mutterkorn, à traduire par grain de la mère, de par son emploi en contrôle et accélération des accouchements, en permettant des contractions de longue durée de l’utérus et des vaisseaux sanguins qui l’irriguent (3) .
A.A. Parmentier écrira en août 1774 à l’abbé Rozier sur l’ergot de seigle, que sa mère «en a fait prendre aux femmes qui ont de la peine à accoucher» si l’enfant se présentait bien. La femme était délivrée « dans le quart d’heure».
Sa recette, secret d’apothicaire et de sage-femme ; il pile ce «faux seigle» (ergot) et en fait prendre un dés à coudre dilué dans un verre d’eau (4) .
Puis fin du XVIIIe siècle, A.A. Parmentier testera sur lui-même l’ergot de seigle en ingurgitant tous les matins à jeun, 1,80 gr, ce qui lui provoque de violentes migraines (5).
Il faudra attendre Edmond Tulasne en 1850, pour vraiment classifier l’origine du mal avec l’implication des moisissures productrices d’alcaloïdes (6) .
Aujourd’hui, l’on sait que l’ergot est dû à un champignon, Claviceps Purpurea (soit Clou pourpre), qui n’est pas exclusif au seigle. Cette dernière céréale étant du fait de son type de végétation davantage sujette à l’infection par ce champignon, parce que plus «ouverte» lors de la période de la floraison et aussi que le climat est souvent plus humide où on le cultive, ce qui est propice au développement des moisissures.
Très nette est la visibilité de la partie apparente et végétative (les sclérotes) de l’ergot, dit de seigle, et dénommée ainsi de par sa ressemblance avec l’ergot, (doigt arrière de la patte du coq). Cela fait que l’on peut aisément imaginer la mise hors circuit alimentaire d’un lot trop infesté.
En général c’est par ignorance et en période de disette que ces lots évitaient autrefois le déclassement. Ce qui actuellement, par la responsabilisation des acteurs dans la filière agroalimentaire est plus difficile à imaginer. Rappelons qu’il faut déjà 3 % d’ergot dans une consommation régulière pour subir les dégâts de la toxine.
L’ergot dit de seigle c’est la mycotoxine la moins alarmante au niveau de la dose.
Le mal de l’ergot dit de seigle était si fréquent autrefois dans les terres humides de la Sologne, qu’il est appelé «mal des solognots» par Pierre Larousse dans son dictionnaire en 15 volumes du XIXe siècle, tome VII (vers 1870). Une carte des contaminations à l’ergot est présentée par C. Billen et donne des dates d’épidémies en Sologne, les années 1630, 1676, 1709, 1747, 1755, 1770 & 1777.
Sources:
(1) Photos de Charles Piront (BE) et d’Ineke Berentschot (NL)
(2) JACOB Heinrich-Eduard, Histoire du pain depuis 6000 ans, ouvrage d’abord publié en anglais en 1944, traduit de l’allemand en français Sechtausend Jahre Brot, 1954 et édité au Seuil, 1958, , p.124 - 127.
(3) WOLFF Joachim, Mutterkorn in Getreide und Getreideprodukten, soit L’ergotisme dans les céréales et produits dérivés, publié dans H.-D. OCKER, Rückstände und Kontaminanten in Getreide und Getreideprodukten, éd. Berhrs 1992.
(4) Lettre d’A.A. Parmentier à l’abbé François Rozier publiée en août 1774 dans Observations sur la physique, sur l’histoire naturelle et les arts, Tome IV, p.144 et 145.
(5) MURATORI-PHILIP Anne, Parmentier, éd. Plon, 2006, p.93
(6) LEDERER Jean, Encyclopédie Moderne de l’hygiène alimentaire, tome IV, les intoxications alimentaires éd. Nauwelaerts, Tome IV, 1986, p. 64.
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