Semence de curieux (2)

Les variétés anciennes de blé
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Marc
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août 2013
mardi
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Pour l'épisode précédent cliquez ici
Pour reconnaître les céréales décrites aux XVème & XVIème siècle, la dénomination, la description et la classification qui ne sont pas fixée vont compliquer un peu notre compréhension.

Les dénominations des appellations des familles des plantes, en grec et latin (les langues des partages scientifiques de l’époque en Occident), vont aussi avoir des mobilités diverses avant de se fixer.
Au XVème siècle encore et en Allemagne, le pays des premiers imprimés, on remarque que l’expression «siligo» est tantôt le froment et le seigle.
Le Zea n’est pas encore le nom latin du maïs, mais bien celui de l’épeautre.
Le briza est peut-être le seigle dans les textes romains et grecs et devient par après l’engrain (petit épeautre de Provence)
Une évolution des termes qu’il faudra suivre puisque les auteurs se reprennent l’un, l’autre et assez régulièrement, n’osant pas remettre en cause l’intégrité des écrits précédents qui servent toujours d’assise référentielle.

D’autant que les classements de notre XXIème siècle sont régis par des analyses scientifiques très récentes ; le nombre de chromosomes principalement, qui n’apparaît qu’entre les 2 guerres (dans les années 1930). Tout comme, la palynologie (l’étude des couches terrestres successives de pollens) et la datation au carbone 14 (le décompte de la demi-vie radioactive) qui compléteront utilement les études «généalogiques» des céréales permettant des classements plus philogéniques.
Il est bien évident que les naturalistes de la renaissance et les agriculteurs ne peuvent lire le nombre de chromosomes.

Les premiers classements qu’opèrent les «savants» grecs et romains séparent les blés décortiquables, des non décortiquables (dits aussi nu et vêtu), les barbus, des non barbus, l’époque de semis (hiver et été) et la couleur de l’enveloppe du blé.

Deux couleurs de blés sont généralement prise en compte; le blanc et le rouge (parfois dits; roux, rousset).
M.DELOBEL, commence dans Kruydboek oft Beschrijvinghe (1581) a mentionné, un blé d’une autre couleur, le blé Luisier dont Piet De Bruyn nous livre la traduction du moyen-néerlandais en français “Celui-ci est appelé froment noir ou brun barbu, le blé Luisier se trouve en Tournaisis et dans la Châtellerie de Lille, il est dénommé Luisier parce que ce fin grain est brillant. Les épis sont plus beaux, plus longs et plus grands que toutes les autres (sortes) de froment brun. Mais le grain est dur, plein de balle et de sons, ne servant que pour un gros pain bis.”
On trouve aussi en 1615 dans l’ Histoire générale des plantes de DALECHAMPS et DES MOULINS, une description d’un blé turquet, “ayant l’épi de couleur perse”, c’est à dire; bleu.
Voilà la description -en noir et blanc- de ces blés de couleurs
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On reprend comme base, le tableau des sortes de grains et blés de DELOBEL, parce qu’il est un des derniers écrits du XVIème siècle.
On n'y relève comme intéressant que le ‘’Terwe’’, soit le froment dont on parle ici et dans le prochain épisode, le ‘’Spelt’’, soit l’épeautre.

Toujours grâce à Piet De Bruyn qui donne la traduction du ‘‘moyen-néerlandais’’ employé dans ce document, le recours aux traductions des présentations spécifiques (dans le texte et pas seulement dans le tableau) que donne DELOBEL dans son ‘’herbier imprimé’’ seront nécessaire.
Dans le tableau, il présente en bas-néerlandais, le genre Terwe

Ghemeyn Terwe Robus
Ghebaerde Terwe
GhebaerdeTerwe met heel dobblearen
TweederleyTerwe in Walschlandt Blé Loca gheheeten
Somer Terwe van dry oft van vijfmaenden


Soit en français;
Dans le genre Froment

Froment commun (rouge ou dur ?)
Froment barbu
Froment barbu à double épillet
Froment ‘’de deux sortes” appelé en pays français Blé Loca
Froment d’été de trois ou de cinq mois


Pour quatre des cinq sortes de froment cela ne pose pas beaucoup de problème de compréhension.
Une décision de traduction un peu plus difficile pour Robus qui peut signifier «rouge» ou «blé dur de qualité supérieure», une séparation entre les barbus et les nons-barbus et un repère sur les blés qui ont deux grains par épillet.
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Le froment ‘’de deux sortes’’ dénommé Loca interpelle plus.
D’abord parce que l’expression Loca sera attribué par après à l’épeautre qui est pourtant classé à part chez DELOBEL et divisé en cinq sortes également.
En plus ce blé Loca bénéficie chez cet auteur d’une description graphique qui montre clairement que ce blé est rameux. C'est-à-dire qui ramifie sur le côté en plus de la ramification sur l’axe central du rachis principal.
Il sera parfois dénommé en latin Triticum spica multiplici soit Blé à épis multiples
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L’article consacré par DELOBEL au blé Loca nous précisent que ce sont les gens de Lille (Rijssel en flamand) qui dénomment ce blé comme cela et ne l’oublions pas, DELOBEL est né dans cette ville qui lui a dédié une avenue ou se situe le Parc Zoologique.
Prenons un relevé des descriptions des mentions du blé Loca dans un autre écrit de l’époque.
Celui de J.RUEL, ce dernier nous propose même, une étymologie de “Loca”.
Pour lui, cela provient de “loculis” parce qu’il est couvert de plusieurs enveloppes (supposé; balle + son ?), serait-il non décortiquable ?
Loculaire se comprend en langage français botanique, comme cavité dans laquelle sont renfermées les graines. Cela ne précise en rien le nombre de grains par épillet, ni si le grain se décortique facilement de sa balle comme pourrait le faire croire l’attribution plus générale du terme Zea ou Epeautre sur les grains non décortiquables (grand épeautre, amidonnier, engrain) qui s’appliquera par après du XVIIème au XIXème siècle.
On observera que de J.RUEL (1536) à J.PITTON DE TOURNEFORT (1700) en passant par le régional DELOBEL (1581), cette expression «loca» est souvent recensée dans le Nord de la France par ces auteurs qui se reprennent l’un, l’autre probablement.
Jean RUEL avance la couleur rouge pour le blé loca et DELOBEL le dit blé blanc.
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La question est posée de savoir s’il est un épeautre rameux ?
En n’étant pas tellement décortiquable, c’est possible, mais d’autres pistes doivent être ouvertes également.
En lisant le bavarois L.FUCHS dans la présentation des triticums, il distingue du froment, épeautre et engrain décrits, un «Welscher - Weizen», qui se traduit textuellement par «froment français».
Si le blé loca n’est pas un épeautre rameux, il est peut être un poulard du Nord ou ce «Welscher - Weizen».
Suivont Nicolas-Charles SERINGE (°1776 †1858), qui dit, p.105, qu’il est actuellement –en 1818- très certain, comme l’avait déjà pensé Mr. DE CANDOLLE (°1778 †1841) que ce n’est qu’une simple variété du Tri.Turgidum, dont la base se ramifie plus ou moins. J’en ai trouvé (en Suisse) des individus à peine rameux et dont les épillets de la partie supérieure était absolument conformés comme ceux du Tri.Turgidum.
C’est peut-être ce que subit le blé ou épeautre rameux dans les conditions agricoles -terres argileuses- de la région lilloise.
Henri DE VILMORIN en 1880 donne les synonymes du blé dit de Miracle (p.134) ; Blé rameux; blé de Smyrne; blé de momie; blé d'Égypte; blé Eldorado; Egyptian wheat (Angleterre); grano a grappoli (Italie)
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Puis commente ainsi ; Les poulards sont la classe de blés où les épis se ramifient le plus fréquemment.
Cette monstruosité a déjà été observée dans l'antiquité, car Pline en fait mention,
(Histoire Naturelle, Livre 18, XXI. 1. ‘’les froments les plus productifs sont le froment rameux, et celui qu'on appelle à cent grains.’’) Les blés à épis rameux ont toujours eu le don de frapper vivement l'imagination des ignorants et des cultivateurs novices qui s'imaginent en obtenir des rendements prodigieux, tandis qu'ils ne donnent en général qu'un produit assez médiocre, surtout au point de vue de la qualité.
Un très grand nombre de poulards ont produit des variétés rameuses: il en résulte que le nom de blé de miracle ne s'applique pas toujours exactement à la même variété dans les différents endroits. C’est plutôt, en somme, un objet de curiosité qu'une variété réellement recommandable. Dans les terres pauvres, il n'est pas rare de voir l'épi perdre partiellement ou complètement son caractère, et reproduire alors la forme à épi simple d'un des blés poulards décrits ci-dessus.
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Déjà plus tôt, Alexandre Henri TESSIER écrit en 1784 de ce blé de miracle, qu’il «ne sème que par curiosité dans beaucoup de pays, et par conséquent en petites quantités».


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Bon pain
Marc
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