Semences de curieux (3)

Les variétés anciennes de blé
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Marc
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août 2013
dimanche
25
08:43

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L’épeautre est encore ici pris de manière générale pour tous les blés vêtus (non décortiquable).
Une confusion toujours actuelle existe dans la dénomination entre les blés non décortiquables ou pas dans le langage commun où le nom «épeautre» en français et «farro» en italien existe encore sur le terrain pour englober tous les blés non-décortiquables, qu’ils soient engrain , amidonnier ou grand épeautre.
Dans la version latine de DELOBEL, Plantarum seu stirpium historia de 1576, il est appelé Zea.
Actuellement, ce terme d’origine grec dans le répertoire des graminées - poacées, ne représente plus que le genre des téosintes (maïs «sauvages») et maïs cultivé.
L’historienne du pain au Moyen-Age, Françoise Desportes, signale que «passé le XIème siècle, plus aucun document ne mentionne l’épeautre (écrit spelta) là où il avait été abondant».
Ce qu’Olivier DE SERRES dans son Théatre d’agriculture et mesnage des champs en 1605, précise en disant que l’épeautre «ne rend que peu de farine par l’abondance de son qu’elle fait en étant moulue ou pelée, cause qu’en ce Royaume, maintenant, tel sorte de blé n’est plus beaucoup prisé».
L'épeautre ne sera plus présent que dans certaines régions où le froment donne mal en fonction de la terre et surtout du climat.

Reprenons maintenant ce qui concerne ces ‘’épeautres’’ dans le tableau que présente DELOBEL en flamand, nous sommes en 1581
Spelte oft Typha
Spelte van Theophrastus d’alderbeste ende onghebaerde
Spelte Terw-spelte oft bloote gerste
Duytsch Rijs oft Arinca, ende is van halve deucht
Sant-Peeterskoren/ende is deslechtstespelte/endeeenboetsel den beesten bequaemerdan den menschen

Soit en français

Epeautre ou Typha
Epeautre de Theophrastus le meilleur et non barbu
Epeautre Froment-Epeautre ou Orge nu
Riz allemand ou Arinca, est de demi-qualité
Blé de Saint-Pierre est le plus mauvais épeautre et un boisseau est mieux pour les animaux que pour les gens

Ce classement des épeautres de DELOBEL, présente beaucoup de difficultés d’interprétations à nos regards d’aujourd’hui surtout si nous ne prenons que le classement scientifique comme référence.
Quand, comme Piet De Bruyn le fait, on reprend la version en latin de cet ‘’herbier’’ de DELOBEL précédant de 5 ans la version en flamand, on obtient inévitablement un référencement aux écrits botaniques antécédents qui servent au XVIème siècle de référence.

Zea Typha
Zea Theophrastus
Zea Spelta Zeopyron
Zea Olyra
Zea Briza


Première remarque, ce classement suit fort celui que l’agronome romain COLUMELLE écrit au premier siècle et qui divise les blés en deux grandes familles ; froment (blés nus) et adoréum qui deviendra épeautre (blés vêtus).

Deuxième remarque, le Zeopyron, un terme qui nous vient des anciens grecs, c’est un grain nu !
R.DODOENS en parle comme d’un «blé étrange fort semblable à l’épeautre, mais le grain n’est pas enclos de paille comme le grain d’épeautre, mais sort hors en le battant, comme le froment. Il a la couleur brune tirant sur le jaune, ainsi que le froment».
Alors, pourquoi est-il classé dans les épeautres ?
Peut-être parce qu’il ne peut pas être un froment pour ces anciens auteurs ?
Au même titre comme nous l’avons vu pour le blé Loca ne pouvait pas être un épeautre, alors qu’il est peut-être un blé vêtu.

Il n’existe pas encore de différenciation entre blé turgidum (poulard) et autres blés anciens assez durs (Khorasan, et autres) avec le froment dit aussi blé tendre.
Et surtout ici entre amidonnier avec l’épeautre (deux blés non décortiquables).
Or l’amidonnier (emmer) et les autres blés durs devraient être présent dans les cultures de l’époque, mais non différencié d’une de ces deux espèces décrites dans ces premiers «herbiers imprimés».
Le test de la dureté (blé mis sous la dent) ne différencie pas les blés durs, des blés tendres dans les classements de blés de la Renaissance, puisqu’il faut dire les blés durs sont employés aussi en panification.
Pastification et panification ne semble pas avoir des blés spécifiques comme nous le connaissons aujourd’hui, même si Apicius (l’extravagant cuistot de l’empereur Tibère) différencie la semoule (issue de blés durs) de la farine, (issue de blés tendres), mais là avec Apicius nous sommes en cuisine pas en botanique médicinale.

Le «Welscher-Weizen» cité par le bavarois L.FUCHS, soit froment français, décrit parfois dans les traductions latines comme blé Typha est-il un poulard (grains nus), un amidonnier ou un épeautre (grains vêtus) ?

L’épeautre typha est traduit par R.DODOENS en allemand et néerlandais par Welscher Weizen ou Römische tarwe, soit froment français ou froment romain.
Les Zea Typha et Zea Olyra ont du mal à se différencier dans les commentaires de l’époque, et même dans les descriptions graphiques.
Prenons en exemple les dessins de R.DODOENS (ci-dessous).
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Quand on connaît les prix dissuasifs des gravures de l’époque incitant rapidement à moins de rigueur, ainsi que les pratiques de plagiat recensées chez des auteurs peu scrupuleux, on peut penser que ces planches légèrement modifiées sont un moindre mal pour les éditeurs de l'époque.
Différente ou semblable ces deux planches ?
Lorsque l’on considère cette phrase d’Arianne Lepilliet, p .91 ; «réutiliser dans un même ouvrage le même bois pour illustrer deux -voire plusieurs- plantes était une pratique courante» et lorsque l’on regarde les deux descriptions ci-dessous de la publication de R.DODOENS, on est en droit de se poser la question, du moins pour ces deux dessins de Typha et Olyra.
Déjà en 1601, Gaspard BAUHIN critique dans Animadversiones in historiam generalum plantarum Lugduni soit Observations générales sur l’histoire des plantes de Lyon l'édition en latin de l’ouvrage de DALECHAMPS parue à Lyon en 1586, (on l’appelait l’histoire des plantes de Lyon à l’époque pour cette raison).
Il écrit que «pour près de 400 planches -sur 2.731-, que chacune y était répétée dans leur signalement et figuration, deux et quelques fois, trois fois» extrait de C.Gerber, Une controverse, les progrès de la botanique au XVIIème siècle, Bulletin de la société d’histoire de la pharmacie, année 1927, Vol.15, n°56, p.477-491.

Le zea Théophrastus fait référence à THEOPHRASTRE (IIIème et IIème siècle avant J.C.). Grec, disciple puis successeur d’ARISTOTE, il écrivit notamment une Histoire des plantes en dix volumes et Causes des plantes en six volumes.
Il n’existe pas beaucoup d’autres mentions de cet épeautre portant le nom de THEOPHRASTRE, seul DELOBEL le cite au XVIème siècle à notre connaissance.
Gaspard BAUHIN en 1671 dans Pinax theatri botanici, p. 22, essayera de mettre un peu d’ordre dans la classification et rangera le Zea décrit par THEOPHRASTRE comme un Zea diccocos.
Peut-être que DELOBEL cite THEOPHRASTRE en hommage au savoir du médecin grec et ainsi étant un des premiers a baptisé les plantes avec des noms de botanistes célèbres.
Comme le fit abondamment le père Charles PLUMIER, par exemple en 1703 en découvrant sur l’île de Saint-Domingue, un genre de fleurs pendantes qui dénomma «fuschia» en l’hommage de L.FUCHS.
Ce même père franciscain botaniste dédicacera à Jean RUEL le genre Reullia.
R.DODOENS reçu aussi la gratitude du père PLUMIER, mais le genre d’arbuste disparu lors d’un reclassement pour doublons par VON LINNE.

Le dernier zea décrit par DELOBEL, le briza est fort mal considéré au niveau panification.
R.DODOENS écrit en 1554 dans l’édition en flamand «On en cuit du pain brun qui a un goût très étrange et pas agréable », et dans son édition traduite en français par Ch.de L’ECLUSE en 1557, «Le pain de briza est fort pesant, nourrit mal et est malsain».
M.DELOBEL en 1581 reprenant probablement ces prédécesseurs insiste aussi gravement sur ce sujet en disant que le briza «donne du pain noir avec mauvais goût» et encore ce passage disant que c'est «…le pire des épeautres, nommé briza en grec et selon C.GALIEN à effet somnifère quand on mange du pain du briza».
Que penser de ces commentaires répétitifs et peu glorieux sur la panification de l’engrain à l’époque ?
Peut-être existe-t-il une confusion sur le vocable briza entre le seigle et l’engrain, comme le prétende certains historiens plutôt linguistes identifiant le seigle comme étant le briza des romains et des grecs, ce qui donnera l'appellation anglaise "rye" d'après eux.
Si on reste sur l’hypothèse (vu les dessins des auteurs d’herbiers) que le briza est l’engrain, on le sait, le fait de ne pas se libérer de sa balle est relevé comme un handicap qui écartera petit à petit l’épeautre et l’engrain des choix d’ensemencement opéré par les paysans.
En plus, par rapport à l’épeautre, l’engrain est plus petit, et par conséquent plus difficile à décortiquer avec le seul instrument en possession à l’époque, le moulin sur meules de pierre, où c’est le réglage de l’écartement entre la meule gisante et la meule tournante qui permettait lors d’un premier passage de décortiquer.
Un savoir-faire que ne manque pas de relever les promoteurs du petit épeautre de Haute-Provence dans Le livre de l’épeautre paru aux éditions Edisud en 1998, défenseur de l’espeutiau, en fait un engrain .
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Je crois qu’il faut ajouter que l’état de la meunerie ne devait pas être très performant à l’époque vu le «marché» assuré par ce droit à la banalité dont profitait chaque moulin.
Pour faire une farine blanche, même hors du froment, on ne tirait que 50% de farine hors du grain au désespoir d‘ A.LAVOISIER et A.PARMENTIER, acteurs du XVIIIème siècle, aujourd’hui en farine moulue sur cylindres, on obtient 70 à 75% de farine blanche hors du grain.
Comme le fait remarquer Roland Feuillas, le pain de petit épeautre/engrain gagne beaucoup à se panifier en farine dont on a retiré le gros son.
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En 1557 dans Histoire des Plantes, rédigé en français, R.DODENS avec Charles L’ECLUSE écrivent “ce blé a été...appellé Briza, en Thrace et Macédoine, à présent en Allemagne on l'appelle Blicken, Sant Peters Korn et Einkorn, c'est à dire simple grain.”
La dénomination “Monococcon” de la description de DODOENS dans “Frumentorun…” de 1566 permet de facilement relier le briza, aux classements actuels de l’engrain.
Même si l’éditeur C.PLANTIN réutilise la même planche qui avait servi à R.DODOENS pour M. DELOBEL, l’intitulé du aux auteurs est toutefois différent (Voir les deux dessins ci-dessous).
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Bon pain
Marc
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DRAILOU
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France
août 2013
dimanche
25
11:46

Merci Marc pour vos sujets.
Gilles
" Le pain est la nourriture des hommes depuis des millénaires. Respectez-le; il est le résultat du travail de tant d'hommes et la récompense de tant d'efforts"
(Antoine de St Exupéry)
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